Herschel fait une belle entrée en matière

Pour le premier anniversaire de son lancement, le télescope spatial européen Herschel vient de livrer une première moisson de résultats scientifiques accompagnée par de fascinantes images. En collaboration avec les équipes du consortium de SPIRE, l’un des trois instruments embarqués, des chercheurs de l’IAS ont ainsi pu analyser des observations inédites de poussières et de gaz interstellaires situés dans notre Galaxie.

Figure 1 - Structure du milieu interstellaire : la région de Polaris observée à 250 microns par l’instrument SPIRE. © ESA/SPIRE CONSORTIUM, MARC-ANTOINE MIVILLE-DESCHENES ET AL.

Lancé le 14 mai 2009 conjointement au satellite Planck, Herschel, du nom du physicien qui découvrit le rayonnement infrarouge en 1800, est actuellement le plus grand télescope spatial. Son domaine spectral s’étend de l’infrarouge au submillimétrique afin d’observer l’univers «froid». Il devrait «voir» en  particulier ce qui ne l’a jamais été jusqu’ici : la naissance des étoiles et des premières galaxies, il y a près 11 milliards d’années. Il va également permettre de décrire les processus physico-chimiques le long du cycle de vie de la matière dans les galaxies, des régions les plus diffuses aux sites de formation stellaire. Depuis le mois de septembre 2009, date à laquelle Herschel a été déclaré « bon pour la science », les premières données ont été analysées par la communauté scientifique. Les informations recueillies par l’un des trois instruments embarqués (encadré), la caméra et l’imageur spectral SPIRE ont ainsi permis aux chercheurs de l’IAS d’étudier différentes régions de poussière et de gaz interstellaire comme la nébuleuse de l’Iris NGC 7023, siège de formation d’étoiles au  sein d’un nuage de gaz et de poussières, le nuage de Polaris et la nébuleuse d’Orion (spectroscopie fine du gaz dans la barre).

Des poussières dans l’oeil

La matière “interstellaire” est principalement composée de gaz, mais aussi de poussières. Très minoritaires (environ 1% de la masse du gaz), ces poussières ont cependant un rôle majeur dans le cycle de la matière dans les galaxies. Leurs surfaces permettent aux atomes de se rencontrer et ainsi aux molécules interstellaires de se former. De plus, les poussières absorbent le rayonnement dissociant ou ionisant des étoiles, et permettent ainsi aux molécules de subsister. Elles ont aussi un rôle majeur dans les processus de chauffage du gaz. Les trois instruments d’Herschel permettent de mener des observations combinées du gaz et des poussières dans un domaine spectral pour la première fois couvert continûment de 60 et 670 microns. Chauffées par le rayonnement émis par les étoiles, les poussières interstellaires atteignent des températures de l’ordre de -260°C à -160°C. De la même façon que la photosphère solaire, portée à environ 6 000 °C et qui émet du rayonnement visible, les grains interstellaires émettent un continuum d’émission (selon la loi de Planck) dans le domaine submillimétrique. La «couleur» submillimétrique révèle directement la température des poussières, et donc indirectement l’intensité du rayonnement qu’elles reçoivent. Le rayonnement émis par le gaz est quant à lui constitué de raies spectrales dont la position est la signature d’atomes ou de molécules, alors que l’intensité révèle les conditions d’excitation des espèces détectées.

Premières images

Depuis le début de l’aventure Herschel, l’IAS a participé activement à la préparation de plusieurs programmes dans le cadre du temps garanti accordé au consortium SPIRE. Les chercheurs ont également développé des outils pour le traitement des observations et leur modélisation. Les premières données recueillies par le satellite ont de quoi réjouir les chercheurs. Ainsi, à environ 1 400 années-lumière du Soleil, la nébuleuse de l’IRIS est l’un des objets phare pour comprendre les interactions du rayonnement émis par les étoiles avec la matière interstellaire. Les images transmises par les instruments PACS et SPIRE d’Herschel (figure 2) illustrent la façon dont le rayonnement stellaire pénètre dans un nuage dense. Les poussières situées au bord du nuage absorbent le rayonnement stellaire. Elles sont donc chauffées, et paraissent brillantes dans le domaine spectral d’Herschel. Plus loin de l’étoile, les poussières reçoivent beaucoup moins de rayonnement puisque celui-ci a été absorbé par les poussières situées au bord du nuage. C’est pour cela que seul le bord des nuages denses est détectable sur les images Herschel.

Figure 2 – Interactions de la matière interstellaire avec le rayonnement : la nébuleuse de l’IRIS observée par PACS et SPIRE, à des longueurs d’onde allant de 70 à 500 microns. La position de l’étoile qui chauffe les poussières est marquée sur l’image à 250 microns.  ©ESA/PACS & SPIRE CONSORTIUM, ALAIN ABERGEL ET AL.


Figure 3 - Spectroscopie du gaz avec SPIRE : la barre d'Orion. ©ESA/SPIRE CONSORTIUM, EMILE HABART ET AL.

Autre récolte fructueuse, celle qui concerne par exemple le nuage de Polaris, située en dehors du plan galactique et qui ne présente pas de signe de formation d’étoiles.  L’imageur SPIRE d’Herschel révèle la structure filamentaire et d’apparence chaotique de la matière interstellaire (figure 1). C’est la première fois que la structure à petite échelle du milieu interstellaire diffus, avant que des étoiles ne se forment, est ainsi révélée (jusqu’à des échelles de l’ordre du millier  d’Unités du millier d’Unités. Enfin, troisième exemple de thématique riche de promesse, celle qui concerne la spectroscopie du gaz, grâce notamment à des images provenant de la barre d’Orion est une des régions clé pour comprendre la chimie du gaz interstellaire. Une moisson spectaculaire de raies spectrales a été observée par le spectromètre à Transformée de Fourier de SPIRE (figure 3), traçant la présence d’atomes de carbone (C), d’azote ionisé (N+), ainsi que des molécules CO, H2O, H2S, CH, CH+. Les molécules et radicaux constitués de carbone et d’hydrogène sont parmi les premières briques attendues de la chimie interstellaire. Leur détection est donc fondamentale pour une meilleure compréhension de la chimie de la phase gazeuse. Une raie en émission révèle l’ion moléculaire CH+. C’est le premier ion moléculaire découvert dans le milieu interstellaire en 1941 dans le domaine visible, mais c’est la première fois que la transition rotationnelle fondamentale est observée (l’atmosphère terrestre est totalement opaque dans ce domaine spectral). De plus, un parent chimique également important à étudier, le radical CH, est aussi observé. La détection de ces espèces conjointement dans les domaines visibles et submillimétriques va permettre de contraindre les modèles chimiques du milieu interstellaire.

L’ensemble de ces résultats est en cours de publication dans un numéro spécial de la revue Astronomy & Astrophysics.

Trois instruments sont embarqués à bord d’Herschel :

– HIFI (Heterodyne Instrument for the Far Infrared) un spectromètre à haute résolution spectrale qui permet l’étude de la chimie de l’Univers à travers les  signatures spectrales du gaz (monoxyde de carbone, vapeur d’eau…) ;

– PACS (Photodetector Array Camera and Spectrometer) une caméra et spectromètre pour étudier l’émission infrarouge lointain du gaz et des grains de poussière ;

– SPIRE (Spectral and Photometric Imaging Receiver) remplit les mêmes fonctions que PACS mais à de plus grandes longueurs d’onde, dans le domaine submillimétrique.

Contact

Alain Abergel
UFR Sciences
IAS, Université Paris-Sud 11/CNRS
Email : alain.abergel@ias.u-psud.fr


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