La guerre des sexes au pays des mouches

Au départ de tout nouvel être chez les espèces pratiquant la reproduction sexuée, il y a la fécondation, rencontre d’un gamète femelle et d’un gamète mâle. Mais dans le règne du vivant, la morphologie de ces gamètes est très différente et l’on trouve des formes et des tailles diamétralement opposées.

Dans le monde animal, les différences chez les spermatozoïdes peuvent être assez spectaculaires, notamment chez les invertébrés. Le spermatozoïde du homard possède des grappins qui lui permettent d’atteindre, avec plus de facilité, l’ovule dans les voies génitales de la femelle. Le spermatozoïde des termites est, quant à lui, multiflagellé. Parfois, il existe même deux types de spermatozoïdes chez les mâles d’une seule et même espèce : c’est ce que l’on appelle l’hétéromorphisme spermatique. On rencontre une telle situation par exemple chez l’escargot de mer Fusitriton origonensis qui produit des spermatozoïdes non fécondants mais qui servent de support aux autres spermatozoïdes plus petits et surtout fertiles, lesquels se fixent sur ce substrat. Chez les vertébrés, dont fait partie l’Homme, les spermatozoïdes des différentes espèces ont des caractéristiques très proches : ils sont de petite taille, très mobiles et produits en très grand nombre.

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La famille des drosophiles, mouche de quelques millimètres, est utile pour comprendre les mécanismes de cette diversité de taille et de forme  des spermatozoïdes. On trouve en effet chez Drosophila melanogaster, des gamètes mâles de petite taille, produits en très grand nombre alors  que chez Drosophila bifurca, une cousine éloignée, on observe des spermatozoïdes en petit nombre mais qui atteignent 6 cm, soit 20 fois la taille de la mouche! Il s’agit du plus grand spermatozoïde du monde vivant jamais décrit. Le record de longueur du spermatozoïde est donc détenu par une toute petite mouche, elle-même beaucoup plus petite que le spermatozoïde qu’elle produit ! Pour que cela puisse fonctionner et que le spermatozoïde puisse être transmis à la femelle, il est finement embobiné à l’aide d’un organe atypique appelé enrouleur.

A chacun sa stratégie

Mais quel est l’intérêt de ce spermatozoïde aux proportions démesurées ? Posséder un spermatozoïde géant présenterait quelques avantages. Le premier, et non des moindres, serait de favoriser un comportement sexuel pouvant s’apparenter à la fidélité : la monoandrie, autrement dit l’existence d’un seul partenaire par cycle sexuel. Selon les travaux de Dominique Joly, il existerait une corrélation entre le gigantisme spermatique et la monoandrie. En effet, chez D. bifurca, la mouche détentrice du record du spermatozoïde le plus long, la femelle a tendance à être monoandre alors que D. melanogaster est une espèce polyandre qui  multiplie les partenaires sexuels au cours d’un cycle sexuel et dont le mâle possède des petits spermatozoïdes. Le gigantisme spermatique pourrait également jouer un rôle sur les caractéristiques du liquide séminal, fluide dans lequel baignent les spermatozoïdes. Il s’agit d’un caractère sexuel très important pour la fertilité des individus qui modifierait la physiologie de la femelle en limitant sa réceptivité à un accouplement avec un autre mâle. La conséquence d’une telle stratégie est de favoriser l’utilisation des spermatozoïdes émis par le mâle qui vient de s’accoupler et ainsi d’assurer la paternité des descendance et donc la transmission de leur patrimoine génétique.

Pour résister à cet effet, les femelles D. bifurca ont elles aussi développé des comportements sexuels innovants, en expulsant ces spermatozoïdes géants peu après un accouplement avec un mâle qui, a priori, n’est pas le préféré. Il s’agit d’une adaptation comportementale de la femelle, une sorte de parade, ou riposte, à la tentative des mâles de fidéliser leur partenaire. Mâles et femelles se livrent donc une véritable course à  l’armement dans cette guerre des sexes !

Contrôle qualité

Autre caractéristique chez D.bifurca : le taux de réussite de la fécondation est extrêmement élevé. On ne décompte que quelques dizaines de spermatozoïdes géants dans l’éjaculat. Le contrôle de la production des spermatozoïdes (ou spermatogénèse) est dans ce cas très rigoureux afin de ne pas gaspiller ces précieuses cellules sexuelles. Chez les espèces produisant un très grand nombre de spermatozoïdes, l’efficacité de fécondation est comparativement assez faible mais elle est compensée par le nombre de gamètes produits. Il semble dans ce dernier cas que le contrôle, pour s’assurer que chaque spermatozoïde puisse potentiellement féconder un ovule, ne soit pas très rigoureux. Chez l’Homme, on peut retrouver entre 20 et 250 millions de spermatozoïdes par cm3 de sperme, parmi lesquels plus de la moitié, même chez un homme «sain», présentent des anomalies diverses et variées qui empêcheront ultérieurement ces gamètes d’assurer leur fonction première.

Les recherches se poursuivent pour mieux comprendre le lien entre les caractéristiques du spermatozoïde ou du liquide séminal l’accompagnant et le comportement sexuel des espèces. Tout ceci montre bien la complexité des paramètres aboutissant à la reproduction des espèces. Il existe une compétition féroce entre les mâles eux-mêmes pour attirer les femelles et entre les spermatozoïdes pour atteindre l’ovule le premier, mais également une compétition entre mâle et femelle pour la maitrise de la reproduction se traduisant dans les comportements sexuels avant et après l’accouplement. La guerre des sexes est loin d’être terminée.

Contact

Dominique Joly
UFR SCIENCES
LEGS (Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation)
Email : joly@legs.cnrs-gif.fr
Tel : 01 69 82 37 34

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